Antoine Desrosières Interview

Lors de mon escapade au Festival de Cannes, j’ai eu le plaisir de rencontrer le réalisateur ainsi que les acteurs du film « A genoux les gars  » sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard. 

Antoine Desrosières – Interview – A genoux les gars

Par Manon Garrido

Attention : SPOILER !

Retour sur une rencontre pas tout à fait comme les autres.

Pourquoi avoir choisi le prisme de la comédie pour parler d’un sujet aussi grave (le chantage à la sextape ndlr.)?

Il me semblait important d’aborder ce thème en passant par l’humour pour plein de raisons. Déjà parce que le public auquel se destine le film n’irait sans doute pas voir un drame au cinéma, ensuite parce que notre volonté était de planter des graines, de fendre des crânes pour y laisser passer un peu de lumière. La comédie se prête bien à ça. En allant voir un film drôle, on peut aussi remettre en question ses propres comportements et se voir sous un autre angle.

Les mots utilisés dans le film sont très bruts et peuvent sembler violents. Souhaitiez-vous faire passer un message particulier avec cette absence de filtre ?

Ce que nous souhaitions faire passer comme idée concernant la violence, c’était l’endroit où elle se situe. En fait, si on regarde bien, Yasmina rencontre des hommes au langage cru et violent. Pourtant, la scène du banc  puis de l’hôtel avec le bel homme noir démontre quelque chose d’autre. Il utilise des mots tout aussi violents, il semble provenir d’une même classe sociale et pourtant il est différent. Pour lui, et c’est un des messages du film, la violence est dans le non-respect de l’autre. Si Yasmina ne désire pas avoir de rapports sexuels avec lui, il n’en a juste pas envie. Il ne peut même pas comprendre où se situe le plaisir quand on force l’autre.
Et puis, je pense vraiment que les bad guys ne se rendent pas compte de la souffrance qu’ils causent. Dans le film, tout est léger pour eux, c’est presque un jeu. Il sont trop centrés sur eux-mêmes pour avoir la possibilité de comprendre les conséquences. Ce film, entre autre, peut leur en donner une idée.

Pourquoi avoir ouvert une porte sur une idée du féminisme ?

Alors déjà, je n’aime pas tellement le terme « féminisme » parce que cela catégorise de fait, alors que moi je suis plutôt contre tous les communautarismes et pour toutes les égalités. Bien sûr, j’ai envie que les femmes aient les mêmes salaires, la même liberté sexuelle et qu’elles n’aient pas à subir les comportements des hommes tels que Majid et Salim. Mais ce n’est pas le propos du film en tant que tel.

Pourtant Rim se décrit comme féministe dans le film.

Oui c’est vrai. Elle en parle avec ses mots à elle, avec sa propre définition: féministe c’est pour dire que si elle n’a pas envie de sucer, elle ne suce pas. Dans le fond, elle a raison, mais en réalité, pour elle, c’est plutôt un argument pour renforcer son refus. Par contre, ce qui est intéressant, c’est de voir comment deux soeurs qui, a priori, ont reçu la même éducation, ne sont pas armées de la même manière face aux garçons. L’une dit non, l’autre dit oui. Il y a là aussi une envie, pour l’équipe, de dire que ce n’est pas une fatalité non plus que de subir les hommes et de demeurer victimes.

Un peu à la manière d’une Virginie Despentes?

Oui, c’est vrai! Je viens d’ailleurs d’achever son livre King Kong Théorie dont je partage beaucoup d’avis et de combats. Par exemple, certaines féministes se positionnent contre la prostitution alors que, comme Despentes, je serais plutôt pour l’encadrement de la profession. Le film que j’ai réalisé pose aussi les questions des abus sexuels et des positions à la fois des hommes et des femmes face à eux. Après, c’est un film qui doit être discuté par tous et rester un objet de débat pour tous les camps. Ce n’est pas un pamphlet et je n’ai pas voulu qu’il porte toutes les convictions qui sont les miennes ou celles de l’équipe. On a essayé de garder une certaine neutralité.

Pourquoi éluder la question de la Police pour se sortir de la situation?

Pour plein de raisons. Déjà parce que l’idée du film est née d’un témoignage dans lequel il n’était pas question de Police. Puis, avec l’équipe, nous avons fait des choix pour faire avancer l’histoire d’une manière cohérente. Le personnage de Yasmina nous a donné la réponse. Elle, qui ne sait déjà pas si elle était finalement consentante ou pas, elle qui doute: cela paraissait inconcevable au fil de la construction du film qu’elle songe, à un moment donné, à se rendre dans une gendarmerie.  Et puis, pour le côté réaliste, il faut bien dire que les femmes ne sont pas souvent prises au sérieux, ne sont pas crues ou mal reçues dans les commissariats. Alors, impossible que le personnage de Yasmina s’y rende.

On assiste pourtant à une évolution positive de ce personnage tout au long du film.

Oui, elle évolue. C’est quelqu’un qui se découvre, quelqu’un qui n’avait aucune connaissance de son corps, de ses propres envies, de ses désirs. Petit à petit, elle se rencontre elle-même et se découvre capable d’affirmer là où est son désir. Elle apprend à dire non et à s’écouter. C’est d’ailleurs au moment où on s’y attend le moins que tout s’enclenche: au petit matin, après une nuit à l’hôtel plutôt drôle, dans l’ivresse de la fatigue, elle se libère. Elle a un désir, l’entend et elle commence à l’assumer.

Cela pointe donc du doigt l’idée du consentement, après certaines affaires médiatisées, cela est parfaitement d’actualité.

Oui, ce n’était pas le but que cela colle avec des phénomènes d’actualité vu que le film a été tourné il y a un an et demi. Par contre, ce que nous souhaitions faire avec ce film c’est ouvrir le débat, réfléchir sur tous les niveaux de consentements possibles. D’ailleurs, le consentement est compris différemment selon les personnages et moments du film, chacun a sa vision. Donc, pour nous, s’il y a plein de zones de gris c’est surtout parce que l’objet du film est de donner à discuter aux spectateurs sur ce qui est du consentement et ce qui n’en est pas. Cela ouvre les débats et pose des questions; à chacun de semer des graines et se faire son avis.

Ce qui me fait penser à la bande originale du film. Vous n’avez choisi que des chansons datant des années 1960. Finalement, est-ce un clin d’oeil pour dire que les choses n’ont pas beaucoup changé?

En effet, je crois que j’ai choisi les musiques pour ça, parce que j’ai le sentiment non seulement que ça n’a pas beaucoup évolué mais qu’on est dans une régression. J’ai l’impression qu’il y a une remontée des interdits culturels et que cette remontée des tabous fait qu’il y a peu de dialogue dans les familles. Avec cette absence de parole, l’éducation sexuelle est faite ailleurs ou pas faite du tout: ce qui entraîne beaucoup de jeunes à penser et vivre la sexualité comme étant uniquement vulgaire. Le film permet ça aussi, de développer l’idée que le sexe n’est pas vulgaire, bien au contraire. Que c’est épanouissant à partir du moment où c’est du partage, du consentement avec des gens à égalité.

Alors, révolution ?

Oui, en un sens ! Tout cela est inscrit dans les moeurs. Je remarque auprès d’amies, de femmes, pourtant libres et affichées, que, souvent, leurs amoureux sont choisis parmi les hommes qui leur proposent. C’est ancré dans la société et encore difficile à dépasser. Tout le travail est d’amener, peu à peu, l’égalité dans tous les domaines avec moins de violence et d’agression, et plus de communication. C’est peut-être de l’utopie mais que j’espère pas trop lointaine.

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