Léo Betti- Interview- Le Frigo de Copi

Rencontre avec le comédien Léo Betti pour sa performance scénique et sa mise en scène du Frigo de Copi.

Holystyx.   “Bonjour Léo Betti et merci pour cet entretien. N’était-ce pas risqué pour un premier montage que de choisir Le Frigo de Copi, une pièce assez peu connue du grand public? Pourquoi ce choix?

Leo Betti.         J’ai découvert Copi au Conservatoire, et j’ai tout de suite été séduit par l’Univers de l’auteur. J’y avais d’ailleurs travaillé quelques scènes du Frigo, puis quand j’ai terminé ma formation, j’ai cherché à monter mon projet.  Je cherchais une pièce avec un seul personnage pour des questions à la fois pratique et financière. Le Frigo de Copi s’est donc présenté comme une évidence. C’était avant tout un choix par envie. Le côté connu d’une pièce ne m’intéresse pas. Je fonctionne par envie. Et là, j’avais envie d’autre chose.

Holystyx:    Qu’est-ce qui vous a plu dans cette pièce là? On est quand même loin de l’Univers lisse, calme à la théâtre de boulevard.

Léo Betti:          J’aime les fous, j’aime les costumes, j’aime l’idée de voir au théâtre ce qu’on ne voit pas dans la vie. C’est d’ailleurs pour ça que je fais du théâtre, je crois. La vie est assez peu suffisante et rarement intéressante et palpitante et dans cette pièce, il y a tout.  J’avais envie de monter quelque chose de comique aussi, de drôle avec un vrai fond tragique, une vraie parole qui va à l’intérieur des personnages. Tous ces trucs auxquels on n’a pas accès.
Cette transexuelle, dans la vraie vie, on ne la voit pas. On ne voit pas toutes ces facettes. Et puis, ce ne sont pas des gens qui se montrent. Cette pièce permettait une autre visibilité sur ces gens-là. Un autre éclairage que celui qu’on nous montre en permanence de gens complètement instables ou malades, ils sont aussi humains. Ils ne sont pas QUE transsexuels.

Holystyx:    Justement vous parlez de l’envie de monter quelque chose de comique, est-ce que vous vous êtes rendu compte qu’elle était majoritairement sombre avec quelques touches de drôlerie, et non l’inverse?

Léo Betti:            Oui… Parce que l’humour pour l’humour ne m’intéresse pas. C’est la tragédie qui m’intéresse, tout le temps… Sauf qu’à jouer, je ne voulais pas jouer quelque chose d’uniquement tragique. Et dans cette pièce il y a tout: le fond est absolument tragique, c’est d’une cruauté..! Tous les personnages sont absolument mesquins, méchants, et puis, on a tous les rapports: à l’argent, à la famille, au sexe, à l’amour et ils sont toujours traités sans jamais donné aucune réponse. On est dans le paradoxe de tout. Ca questionne beaucoup le réel aussi… Qu’est-ce que le Réel dans la vie finalement? Car pour ce personnage tout est Réel, elle le perçoit comme une réalité au moment où elle le vit, même si après, elle sait que c’est fictif. Un peu comme les enfants qui jouent avec leurs doudous en les prenant pour quelqu’un, tout en sachant qu’ils ne sont juste que des doudous. C’est tromper la solitude.

Holystyx:     Mais est-ce que cet attrait pour la tragédie ne serait pas dû à votre vision de la vie? Comme étant elle-même une tragédie?

Léo Betti:           Je trouve que la vie, on la subit, on nous l’a imposée, et puis on se débrouille avec… Evidemment certains ont plus de chance que d’autres, moi, je ne vais pas me plaindre bien sûr. Je pense que la vie est rarement heureusement. Les moments heureux sont furtifs… Parfois on croit que c’est heureux et puis tout se casse la gueule. C’est un combat permanent avec soi, avec les autres… C’est un chemin d’insatisfaction permanent, la vie. J’ai cette impression. On cherche toujours quelque chose, que la plupart du temps, on ne trouve jamais, et lorsqu’on le trouve, ça ne nous satisfait pas. C’est ça la tragédie de l’existence.

Holystyx:    J’ai remarqué dans votre mise en scène une place extrêmement importante accordée à la Musique.  Alors qu’à la base, ce n’est pas du tout une pièce avec des passages musicaux. Ici, dans votre mise en scène, ça commence par de la musique, ça finit par de la musique, il y’a énormément de passages avec de la Musique… Pourquoi ce choix?

Léo Betti:         J’ai  crée la musique pour soutenir la dramaturgie de certains moments. Je voulais utiliser de la musique, mais pas que de la musique connue, alors j’ai composé quelques notes qui reviennent tout le temps, sous forme différente, en boucle, avec des instruments différents, des ambiances différentesJe voulais ce côté redondance, à l’image de ce que vit le personnage: ce sont des choses qu’il revit sans arrêt des choses qui se sont passées ou pas d’ailleurs. Ce sont des choses qui reviennent, comme une rengaine qu’on ne peut pas éteindre. 

Holystyx:  Un peu comme l’insatisfaction de la vie?

Léo Betti:       Oui c’est chercher un ailleurs qui n’advient jamais. On retombe tout le temps dans quelque chose d’autre. J’avais envie de rendre un peu hommage à des icônes gay populaires, comme Dalida. J’avais envie de reprendre Dalida, j’ai choisi la version disco des feuilles mortes pour a scène du suicide. C’est très cliché, mais la pièce joue beaucoup sur les clichés…. C’est un peu le suicide à paillettes, et je trouvais que ça amenait un côté très grotesque, très burlesque dans la mise en scène version disco avec la boule à facette…. Un suicide qui n’en est pas un puisqu’elle ne se suicide pas..

Holystyx: le thème de la sexualité est aussi assez présent, déjà par le personnage qui est transsexuel et qui pose d’emblée la question de l’identité sexuelle mais aussi par vos choix. Vous parlez d’icône populaire et d’icône gay. C’était important pour vous de mettre l’accent sur une identité sexuelle qui a été réprimandée pendant très longtemps….? Votre pièce est arrivée à un moment clé de l’Histoire de votre pays, avec le Mariage pour Tous et ses opposants. Ca a un lien avec vos choix?

Léo Betti:        Oui je pense que ça  a joué, ça a influé mon choix, tout ce bordel avec ce mariage pour tous et la question qu’on remet sur le tapis. Je ne voulais pas l’ancrer dans un communautarisme, c’était simplement l’envie d’y mettre le plus de couleurs possible. Mettre Dalida c’est flamboyant, c’est le music-hall, les paillettes et j’avais envie que ça soit là. Tout ce qui est dans la pièce est tellement sordide… J’avais envie qu’on soit dans cette plongée du sordide, mais que ce soit lumineux. 

Holystyx:   Encore un beau paradoxe…

Léo Betti:        Je crois qu’on ne peut faire qu’avec ça… Sinon c’est pas très intéressant. Et puis, j’ai essayé de travailler sur la symbolique, sans faire de réalisme de situation, je ne voulais pas qu’on soit happé par la pitié. Je trouve que le réalisme apporte ça, il réduit la dimension d’un personnage à une réalité médiocre.

Holystyx:   Est-ce que c’était important de mettre en lumière la souffrance de ces personnes, à la fois les personnes qui souffrent de problèmes psychotiques, et en même temps les personnes qui souffrent de leur identité sexuelle?

Léo Betti:    Je ne sais pas, la pièce ne parle que de solitude, de souffrance , de paradoxe, d’incapacité d’exister dans ce monde. Pas que dans un monde social d’ailleurs. Bien sûr que cette souffrance est là. Mais il y a aussi des souffrances qui sont communes à tous. Comment vivre? Comment arriver à être quelqu’un, à être soi. Le personnage est beaucoup dans la volonté d’être “connu”, de vouloir exister, briller, que tout le monde le connaisse et s’intéresse à lui. J’ai l’impression que le personnage cherche l’amour, celui dont nous rêvons tous, et qui est assez rare à trouver. Il compense comme il peut. Même l’amour est pitoyable dans cette pièce. S’inventer une histoire d’amour avec un rat qui n’est même pas là…. Quand il n’y a rien et qu’on traîne les casseroles du passé, comment on fait ? Est-ce qu’il y a des solutions pour ça ?

Holystyx:   J’ai aussi remarqué qu’il y avait pas mal de cris dans la pièce, de changements de tons, d’hurlements suivis de chuchotements… Pourquoi cette place pour les cris? C’était des choix instinctifs ou réfléchis?

Léo Betti:      J’ai fait un choix de code de jeu un peu burlesque avec des ruptures en permanence pour créer le comique mais je n’avais pas vraiment pensé à ça. Cette place du cri. Je voulais exagérer les états et la folie aussi, mais au niveau des cris, j’ai travaillé avec ces codes-là et les choses sont venues comme elles sont venues. Sans me poser la question.

Holystyx:   Je voulais vous parler  des mannequins… C’est assez étonnant, car dans toutes les représentations de Copi que j’ai pu voir, je n’ai jamais observé une mise en scène basée sur des mannequins. Le personnage est toujours seul avec éventuellement un frigo mais c’est tout… Comment vous est venu cette idée?

Léo Betti:    Quand j’ai pensé la mise en scène, je la voulais hors contexte réaliste, et je ne savais pas… Les mannequins sont arrivés très tard dans le processus de la création. J’y ai pensé après avoir vu un film, un remake du film Maniac, avec Elijah Wood. Un tueur tue et scalpe des femmes, et agrafe la peau de ces femmes sur des mannequins de vitrine… Et il vit avec elle, pour tromper sa solitude. Etre à ce point seul qu’on s’invente des présences qui ont une vague forme humaine… Et ça, je me suis dit que ça irait dans ma mise en scène. Vierges au début, ils prennent au fil de la pièce, les éléments des personnages puisque je laisse les accessoires des personnages sur eux. Tous les personnages laissent une trace et restent présents. 

Holystyx:   Pour les choix de mise en scène, est-ce que vous vous êtes inspiré d’un travail? D’autres mises en scène? Notamment celle de Copi?

Léo Betti     J’ai forcément des inspirations, en tous cas des choses que j’ai vues, que j’ai aimées et qui m’ont nourri mais je ne me suis pas inspiré d’un travail en particulier. J’ai fait comme ça m’est venu, en essayant d’être le plus juste possible pour ne pas trahir l’auteur, pour faire émerger ce que j’estime qui doit être vu, ce qui est important dans la pièce et en gardant le strict nécessaire.  Même s’il y’a pas mal de costumes et que l’esthétique est très travaillée, mais je voulais qu’elle reste simple, que le personnage et le propos ne soit pas noyés dans tout un tas de décors, de costumes. 

Holystyx:   Pour terminer, après le Frigo, vous avez déjà d’autres projets en vue?

Léo Betti:       Pour l’instant, pas concrètement. J’ai d’autres idées en tête, d’autres projets, je pense beaucoup à l’idée d’une pièce refaisant découvrir la passion à travers les lettres de Sand et Musset, mais aussi des choses plus burlesques… Mais je ne veux pas m’éparpiller alors je garde tout ça en souterrain, pour plus tard. “


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