Avec l’engouement médiatique -largement justifié à mon sens- pour le film Mommy, un autre film de et avec Xavier Dolan sorti seulement quelques mois
après avant, Tom à la ferme, a été passé sous silence.
Quel dommage d’ailleurs car ce film a tout d’un grand.
Vous pouvez me croire, le film est à la hauteur de la bande-annonce.
Décidément, Dolan est surprenant.
Dans un registre où on ne l’attendait pas vraiment, il arrive à nous entraîner dans cette descente aux enfers, nous faisant souffrir et frissonner à ses côtés.
Nous emmenant au fond des sentiments d’attachement à l’autre.
Minimaliste, toujours dans un huis-clos de personnages, il dépeint une réalité rurale, familiale et sociale.
Les rapports humains sont au coeur de ce film, et, à mon sens, tout y est.
Le film est classé parmi les Drames, et c’est un choix plutôt réducteur tant Tom à la ferme impose une atmosphère particulière.
Je l’aurais sans nul doute rangé aux côtés de Shining, des Oiseaux voir même de Psychose.
Il réunit pour moi toutes les tonalités nécessaires à un très bon thriller psychologique.
On pénètre largement au coeur des problématiques psychologiques humaines, à travers ses schémas de relations, de construction, à travers ses automatismes d’attrait et de rejet, d’amour et de haine, de fluidité et de paradoxes.
Les premières minutes du film, avares de dialogues, d’ancrage ou d’explications, nous plongent d’emblée dans ce qui va être l’ambiance délétère de non-dits et de manipulations amenée tant par les images et les effets de style, que par la musique ou les personnages.
Les plans filants, les images qui s’obscurcissent au fur et à mesure que Tom (Xavier Dolan) se rapproche , les routes interminables et la musique acoustique de Kathleen Fortin chantant les Moulins de mon coeur viennent renforcer le sentiment d’un monde qui s’achève et d’un nouveau à renaître.
Ce sentiment est aussi largement soutenu par les plans de la route longiligne, séparant deux champs presque symétriquement.
Ce monde ancien qui se meurt, et ce monde nouveau qui s’offre.
Un monde sombre et dévorant.
Un monde d’ombres et de néant.
Le scénario, somme toute un peu « banal », voir même cliché, va, au fil du temps, se révéler et engloutir le spectateur.
Les secrets de famille, les silences, les dialogues toujours très courts, les scènes de violences physiques…
Tout s’enchaîne avec une puissance et une émotion percutantes.
Tout est méticuleusement à sa place et décuple les sensations du spectateur.
Le film joue sur des non-dits, des non-réactions, des acceptations et des sentiments naissants.
M’est alors venue une citation du film Fight Club concernant Tom à la Ferme…
Il y a un adage qui dit qu’on fait toujours du mal à ceux qu’on aime : mais il oublie de dire qu’on aime ceux qui nous font du mal.
La situation de n’importe quel point de vue, de n’importe quel personnage, peut se résumer en ces termes.
La musique, comme toujours chez Dolan, joue un rôle extrêmement important dans le processus artistique.
Elle inonde d’angoisse les spectateurs, les plonge dans l’effroi et dans la peur sans jamais être envahissante.
Les moments sont choisis de manière à accentuer les images et les jeux déjà anxiogènes.
On notera les très bonnes performances des comédiens, notamment Pierre-Yves Cardinal ou même la maman endeuillée jouée par Lise Roy.
Ce qui confirme encore la capacité merveilleuse qu’a Dolan pour diriger des acteurs et aller chercher au fond d’eux ce qu’ils ont de talentueux.
Il les révèle.
Jouant de ses personnages fétiches, mettant la lumière,là encore, sur l’homosexualité taboue au sein des familles, le lien filial, fraternel et le mensonge , il amène un autre éclairage sur les égarements humains.
Les égarements d’émotions, de sentiments, de volontés, de contradictions.
Il révèle l’incompréhensible. L’inconcevable. Et son cheminement.
Humain. Sensé. Sournois.
Tom, d’abord assommé par la violence du frère de son défunt compagnon, va peu à peu basculer dans l’attachement, jusqu’à se se laisser détruire, éprouvant même une certaine satisfaction à cela…
Les violences se feront plus rares jusqu’à cette scène, terriblement magnifique, de la valse, durant laquelle l’oppresseur s’abandonne, prend forme humaine et, presque, fricote avec sa victime, devenue, finalement consentante , complètement complice…
J’ai noté aussi l’excellente scène de l’agression par étranglement, mêlant les codes sexuels à la souffrance et au plaisir, reflétant ce paradoxe absolu d’attachement à ceux qui heurtent et blessent.
Avec un regard horizontal, on se retrouve face à la complexité des sentiments.
Qu’ils soient amoureux, filiaux, amicaux, fraternels ou inter-générationnels….
Tous sont représentés et tous sont interrogés, sans jamais donner de réponse absolue. Sans jamais moraliser. Sans jamais juger.
Ce goût, cet amour pour les déraisonnables, cet enclin masochiste, semble être naturellement présent dans chacune de nos existences, soit ponctuellement soit fréquemment.
C’est un sujet que j’ai trouvé extrêmement intéressant et qui, traité de cette manière, externe, neutre, lève le voile sur les étapes de la construction d’une relation perverse et donc toxique.
Cela remet en cause nombres de codes sociaux et éthiques de notre époque.
Nombres de fonctionnements.
Jusqu’où peut-on aller pour ne pas heurter ses parents et demeurer lisse à leurs yeux?
Pour convenir parfaitement aux projections égoïstes qu’ils ont faites sur nous?
Jusqu’où peut-on aller pour conserver l’honneur de sa Famille?
Comment tombe-t-on dans les bras d’une relation néfaste?
Jusqu’à quel point peut-on se laisser manipuler par culpabilisation et éthique? Pour ne pas dévoiler une Vérité qui blesse?
Quel impact ont réellement les parents sur leurs enfants?
A quel degré suis-je responsable de ce qui m’arrive?
Avec une distance voulue, ce film ouvre le débat sur les Pervers Narcissiques et les Violences comme moyens d’expression, et sur les liens unissant les protagonistes.
Brillant et original.